lundi 31 août 2009

Commentaires de spectateurs, au lendemain de la représentation de Mélian au théâtre d’Arras

 

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Courriel de G. Joly à Vincent Wimart, 25 août 2009

Vincent, vous redire l'immense plaisir qui fut le nôtre hier soir. (…) Je me suis rendu compte que ma nuit continuait d'accueillir des images et des sons de votre spectacle. Tout fut parfait : l'accueil des uns et des autres, leur gentillesse, la 
remarquable performance du clarinettiste et de la pianiste, votre musique, bien sûr, écrite, me semble-t-il, avec une justesse et une grande précision. J'ai personnellemen envie de dire que j'ai entendu de la musique classique, en ce sens que je n'ai souffert d'aucune concession à la mode, que je n'ai remarqué aucun "truc", aucune facilité , dans le rythme ou la sonorité pour 
susciter l'adhésion racoleuse de l'auditeur. Je n'oublie pas le texte : quelle qualité poétique ! quelle belle simplicité, mais aussi quelle belle exigence au niveau de la langue ! Là non plus, pas de facilité, pas d'effets spéciaux, mais un texte que tous écoutaient avec une attention soutenue comme il est requis pour la poésie. La voix de votre soprano est claire et sa diction très bien 
articulée. La sobriété de sa gestuelle, par ailleurs, souligne la qualité du texte qu'elle chante. Vous faites vraiment un beau travail, Vincent, et toute votre équipe vous va "comme un gant " ! 

J&G. Joly

 

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Courriel de François Bihan à Sylvie Nève :

EPITAVEKAETLA

« On reste en ville aujourd’hui. Pose ton vélo. »

« On va où ? »

« C’est à deux pas. Sur la droite en descendant depuis la gare… Tout’ façon y a plus de place, on va se trouver un coussin, on s’mettra sur les marches…Y’ a plein d’amis qui se reconnaissent… Ils m’ font penser au roi Pausole.»

« Qui ? »

« Pausole… L’Ours et le Singe, mon pote, Animaux sages , les baladins vont le long des chemins, Apollinaire , tu devrais essayer, c’est sur le  net ! »

« Arrête , ou je remonte sur la draisine ! »

« Ben ici aussi c’est des histoires anciennes, lis le programme, ça remonte au temps des chevaliers, de  la Table ronde,  le temps des Dames, quoi. »

« C’est pour les enfants alors ? »

« Pas vraiment… Faut pas s’y fier à ce qu’elle raconte… Pacifier quoi…

Ben justement, la passion, mon lapin, ça parle d’amour ! »

« D’amour ! C’est pour les filles alors ? »

« Ça parle de  chair, de dévoration, de corps nu, ça déchire, quoi… »

« Sois pas vulgaire ! »

« Mais j’peux pas, de toute façon  ça se raconte pas. »

« PAS vrai !! »

« Si tu l’dis… D’ abord t’es dans le noir, on voit rien que les visages, i sont quatre, y’en a une qui dit  avec des mots, une qui chante, une qui joue du piano,

et puis un gars  à la clarinette…  Et ça s’mélange, et tu sais plus où donner de la tête tellement ça t’embarque ailleurs…

Et  l’arborescence verte de velours moiré

Où  se suspendent les masques de chair

Qu’animent les souffles… »

« Ça y est, t’es r’parti, avec tes mots qu’on comprend pas ! »

« C’est la voix  qui te raconte l’histoire , mais y’a pakça, y’a d’la pomme, y en a aussi, et de celle qu’on croque dans la Forêt… Et pis  zut, ça s’raconte pas ce truc là, ça vit… »

« Ça se voit ? »

« Ça s’vit : tu vois la musique, t’entends les images, t’es là, ça vit. »

EPITAVEKAETLA

  Version  mélomane classificateur :

« Ma chère, et  le rapport texte musique ? Oratorio minimaliste ? » 

« Non. »   

« Opéra de chambre ? »

« Non plus. »

« Chanson de geste ? » 

« Peut-être, vous brûlez… »

« Conte musical ? Lai ? »

« Ma foi, pourquoi, pas… Mais c’est vivant. »

François Bihan

 

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Courriel de Stanislas Gauthier à S. N., 29 août 2009

     Je suis vraiment heureux que votre travail soit reconnu (…), parce que j'en vois la valeur et le caractère moral. Pas de rime entre "mie" et "vie", comme on pouvait s'y attendre, par exemple dans Mélian (quelle trouvaille, ce nom : bravo !), et le souci de laisser la forme se déployer, quitte à faire entendre le quotidien. Je suis, quoi qu'il en soit, d'accord avec vous : la musique très française était une réussite, et relevait d'une façon très originale votre poésie. L'énumération des beautés de la forêt atteignait le merveilleux. Je me suis trouvé très bête de ne pouvoir vous dire (après le spectacle) autre chose que l'adjectif "effrayant" – je suis bien plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral, et je suppose que cette histoire de trahison, qui révèle le caractère précaire du lien dans le couple ainsi que l'ambivalence vis-à-vis de l'autre – est-ce une pierre sur le chemin vers Barbe bleue ? –, a réveillé certains démons chez moi. Sans doute la privation de la parole du personnage ne pouvait-elle qu'exacerber la répétition des fricatives (frottement et souffle, dit le dictionnaire) de cet "effrayant". 
Bravo encore pour ce spectacle fort réussi – et n'oubliez pas de m'indiquer la publication de Mélian quand elle aura lieu.

    S. Gauthier

mercredi 19 août 2009

Mélian invité au Festival Musique en roue libre

Mélion est devenu Mélian depuis la première au Festival des Chimères de Bernicourt, et poursuit ses aventures à l'invitation du Festival Musique en roue libre. A 18h30 au théâtre d'Arras, lundi 24 août. Réservations conseillées au 06 30 55 99 31.


cerf


Rappel des faits :

Un homme, chevalier à la cour du roi Arthur, ne veut être aimé  que d’une vierge, il en fait le vœu. Vierge de corps, vierge de cœur : qu’elle n’ait jamais aimé un homme avant lui, ni même prononcé le nom d’un homme, telle est la condition de son amour. Ainsi commence le Lai de Mélion, conte anonyme de la fin du XIIe siècle.

«  Cil Melions I en voa/ que a grant mal li atorna » : « Ce Mélion fit un vœu, qui lui causa un grand tourment » –  le vœu de Mélion, d’une aimée qui n’a jamais aimé un homme, est rejeté par la société courtoise ; la virginité de la future épouse, comme « qualité essentielle » à une union, est désavouée par la cour d’Arthur : le chevalier n’a d’autre choix que de quitter la cour… 

Bientôt, dans la forêt, Mélion est rejoint par l’objet de son vœu, mais rattrapé par sa lycanthropie – l’exigeant chevalier se révèle loup-garou ! 

Outre le rejet du vœu de virginité, et la métamorphose du héros, le conte recèle d’autres surprises : les irruptions répétées d’un grand cerf, la décision – moralement incorrecte – de la dame, l’accent mis sur la solitude cruelle de l’homme devenu loup, déchu de sa condition humaine par la trahison de l’épouse… 

On peut en lire au moins deux versions qui datent du XIIe siècle : le Lai de Mélion, anonyme, et le Lai du Bisclavret de Marie de France ; dans le lai de Marie de France, l’épouse est clairement adultère, et punie de sa trahison ; dans le lai anonyme, les choses me semblèrent moins univoques, suffisamment ouvertes pour que j’y entrevoie ma propre version. 

Imaginons que la dame ne mente pas – mais ne dise pas tout… tout comme Mélion, qui ne claironne pas au grand jour sa lycanthropie. Soulignons les aspects sombres (Méliancolie…) de cette histoire : un chevalier-loup tragiquement muet, la mue inaudible d’Actéon, l’étrangeté intime et radicale de la dame, l’animalité insistante – va-et-vient du cerf, loup-garou… 

Chemin faisant, Mélion – dont le nom évoque un bestiaire absent de ce conte – devint Mélian – moins lion que mélancolique. 

Et dans ce lacis, un couple, au Moyen-âge, ou au XXIe siècle, les critères du choix prétendu de l’autre, la part d’ombre de chacun, forêt profonde, révélation, trahison, séparation... 

C’est un conte – moral –, donc tout finira – bien ?!.... 

Sylvie Nève





La musique de "Mélian, chevalier-loup" relève à la fois de la mélodie française (pour soprano, piano et clarinette), de l'opéra (pour une voix unique), du conte avec récitant, et de la musique instrumentale pure (prélude, interlude...). 
Dans ce conte, chacun des partenaires mène un double jeu : la voix chantée est tour à tour « instrumentale » et vocale ; la clarinette représente les dualités Mélian/Loup,  Mélian/la Princesse, Mélian-loup/le Grand Cerf ; quant au piano, il est tantôt mélodique ou harmonique (Le Vœu) et tantôt percussif (le Combat, le Lycanthrope solitaire...). La lectrice ne reste pas en dehors de ce double jeu : elle anticipe ou double les propos de la soprano, prenant même quelque fois le relais musical.                                                                                             .
Plusieurs motifs mélodiques jalonnent ce conte : le thème du Loup, le thème de l'Amour, et le thème de la Forêt, personnage à elle seule.
Le thème du Loup, marqué par un intervalle ascendant omniprésent est tantôt lent et étiré (Prélude, Chant de la Métamorphose) tantôt rapide et resserré (2e partie de la Métamorphose, le Combat...). Il représente les deux visages de Mélian, chevalier et lycanthrope, la complexité tourmentée du personnage.
Le thème de l'Amour, une mélodie descendante et sinueuse sera, quant à lui, tour à tour sincère et angoissé (le Vœu), truculent et mélancolique (Chant de la Félicité), désespéré… Le thème de la Forêt, enfin, sorte de cri bestial et déchirant à la clarinette, représente à la fois le Loup et le grand Cerf…

Vincent Wimart



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*

  

Extrait du texte

IV

Le combat



Leu loup
Mélian-loup court par la lande
Dame ma dame c’est pour vous pour l’amour de vous
que moi-loup suis tout à vous-dame qui
loup-je suis combattre et battre seigneur Cerf est-il où
gifles d’odeurs pétries fougères bruyères
hérissons saignent lièvres biches
urinent sangliers écrasent baies crevées giclent
excréments embruns aussi terreau truffe
odeurs se multiplient myriades se frayent
chemin écarte les mots des idées
leu loup suis, Mélian-époux-loup, sang ardeur
odeurs battent au cœur le sang et la fourrure
souffle langue canidés crocs sanglants
senteurs entre les syllabes mâchoires les phrases
Mélian cherche les mots cherchent le grand Cerf
et gueule et truffe et crocs se répètent les parfums terribles
nerfs moteurs puissamment que Mélian-loup
suis poursuit éperdu captif
loup ivre furieusement décèle
enfin l’odeur
du grand Cerf…

Il est là, au milieu d’une clairière,
immobile il sait
l’odeur du loup la fureur
le combat du loup, proche…
Il est là : force et beauté du monde des forêts – Mélian souffre
loup frémit éructe loup hurle – Mélian souffre
loup hérissé grogne et bave – Mélian ne…
le grand Cerf…

Le combat
gueule attaque
grands bois frappent
les hurlement des deux animaux parviennent jusqu’à la dame
et l’écuyer – pourtant déjà si loin –
la forêt tremble
un loup attaque le grand Cerf
la forêt
bientôt chaque combattant est blessé
la clairière saigne
un temps silence
chacun reprend des forces
puis de nouveau menace et grogne
hurle Mélian-loup bondit
d’un coup mord cruellement arrache
un morceau de chair
et s’enfuit…

Le grand Cerf brame,
Mélian-loup s’enfuit loin de la clairière
loin de la clairière à jamais,
il court longtemps
rejoint enfin
la dame, ses vêtements, sa condition, la bague,
la dame, ses vêtements, son épouse,
le jeune écuyer ?
L’anneau, ses vêtements, sa femme ?
Où sont-ils, où sont-ils ?
Oh l’odeur ténue…

(...)


Le festival Chantiers-Théâtre Blaye Estuaire accueille le Duo Peau d'âne

Mercredi 26 août, à 11h.

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Bien des kilomètres entre Arras et Blaye -  qu'à cela ne tienne, poète et musicenne embarquent poème et instruments par delà les autoroutes. Venez nombreux écouter les Sylvie(s) Nève & Reynaert ! Et restez : à 15h et à 19h, la Compagnie des enfants du Paradis donne sa mise en scène du Poème du Petit Poucet de Sylvie Nève…

http://www.chantiersdeblaye-estuaire.com/